Une dizaine de jeunes de Fribourg issus de la migration ont crée et rêvé cette toile "Kids' Guernica" durant une semaine en juillet 2024 dans les locaux de l'association Passerelles à Fribourg.
La toile sera exposée à Nuithonie du 4 octobre au 23 novembre 2024. Passez la voir!
Texte composé et lu par Aliullah Hassani lors du vernissage de l'exposition le 3 octobre 2024:
"Ma vie a été marquée par la guerre, l’injustice et le désespoir.
Je suis né dans le district de Qarabagh, dans la province de Ghazni. L’Afghanistan a toujours été victime, moi et ma famille n’avons pas échappé à cette règle. En 2013, ma famille a décidé de se rendre à Kaboul, afin que ma sœur et moi puissions poursuivre nos études. Nous sommes partis deux mois avant nos parents. J’avais 11 ans, c’était la première fois que je me retrouvais en ville.
Durant le voyage, les effets de la guerre étaient visibles partout. La peur de nous retrouver dans un conflit ou d’être victimes d’une explosion de mine pesait lourdement sur nos esprits.
Au fil des ans, l’insécurité à Kaboul s’est intensifiée. A partir de 2016, de nombreux attentats ont eu lieu, en particulier dans les écoles, les centres de formations, les hôpitaux, d’autres lieux publics. J’ai été témoin de dizaines d’explosions, et à plusieurs reprises, je me trouvais à proximité des lieux d’attaque. J’ai été témoin de scènes déchirantes : des enfants qui perdaient la vie dans le ventre de leurs mères, des camarades de classe tués.
Mes parents m’ont souvent demandé d’interrompre mes études, parce que chaque fois que je partais pour aller suivre un cours, ils ressentaient une angoisse immense. Je vivais moi aussi un stress quotidien, car je savais qu’une explosion pouvait survenir à n’importe quel moment, et que je pouvais y perdre la vie.
En 2020, j’ai commencé des études de journalisme. Un mois plus tard, il y a eu une explosion dans l’université où j’étudiais. Ce jour-là, j’avais oublié mon téléphone à la maison. Mes parents avaient appris la nouvelle et étaient dans une angoisse sans fin. Lorsque je suis rentré, mon père m’a demandé de ne plus retourner à l’université. Mais moi, j’étais déterminé à poursuivre mes études. A l’arrivée des Talibans, tout a changé pour moi. Tous mes espoirs se sont effondrés. J’ai dû abandonner l’université.
Depuis lors, tout est difficile pour tout le monde. Mais surtout pour les femmes afghanes. Les Talibans ont effacé tous les droits des femmes. Elles n’ont plus de droit ni d’étudier, ni de travailler, ni de sortir librement de chez elles. Les femmes afghanes sont victimes d’injustices et de violence. J’espère qu’un jour, la justice puisse être rétablie.
Je suis arrivé à Fribourg le 21 décembre 2023. On m’a d’abord inscrit à un cours d’alphabétisation. J’ai indiqué que je connaissais déjà la matière (je parle aussi anglais). Comme on ne m’avait pas inscrit à un autre cours de français, j’ai travaillé seul avec des applications sur le téléphone. Depuis le début du mois de septembre, je suis un nouveau cours de langue (A1). Mais ce niveau est beaucoup trop simple pour moi. J’ai demandé à pouvoir participer à un niveau qui corresponde à mes connaissances, on m’a dit que ce n’était pas possible. J’aurais voulu suivre des cours à l’EPAI, on m’a aussi répondu que ce n’était pas possible sans suivre le cursus ORS. J’aurais souhaité pouvoir être évalué... J’ai l’impression de perdre mon temps, cela me déprime.
Participer au projet Guernica a été pour moi une chance incroyable. Ce fut une expérience formidable tant pour moi que pour les autres participants. J’ai pu déposer une partie de ma souffrance à travers l’expression artistique, cela m’a fait du bien. Pour moi, ce travail est une forme de résistance face à l’injustice et la guerre.
Je remercie celles et ceux qui m’ont permis de prendre part à ce projet."